J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015
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ETATS DES YEUX | HIVER | 30 Janvier 2021, L'écriture c'est le corps... Le corps c'est la voix...

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ  aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais  j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... 

Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux...

L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement. Aujourd'hui, j'ai envie de donner en exemple les écritures de femmes qui m'ont été signalées par cet enregistrement audio en provenance des réseaux sociaux d'internet. Je vous laisse écouter et faire votre propre voyage intérieur en les écoutant...  La voix écrit aussi...

 

 

 

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Muse...Fantasme... En poésie comme ailleurs les femmes ont longtemps été dépossédées de leurs images, de leurs corps et de son expression.

Dans ce documentaire polyphonique, sept poétesses d'aujourd'hui évoquent la place du corps dans leurs œuvres.

DIRE NOS CORPS voix de poétesses contemporaines

Avec

Guillonne Balaguer

Brigitte Baumié

Béatrice Brérot

Lili Frikh

Souad Labbize

Anna Serra

Fabienne Swiatly

 

Réalisé par Maïté Haddad & Maud Leroy,
Auprès de RadiOlive et Mehdi Ahoudig,
Dans le cadre de la résidence radio Si Loin Si proche


www.radiola.media/siloinsiproche

 

POUSSIN

Nicolas POUSSIN (1594-1665)  - Les Bergers d'Arcadie (première version, Chatsworth House (Derbyshire


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | HIVER | 28 Janvier 2021| L'intranquillité en sourdine...

 

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La Muraille de Chine , Christian BOBIN

 

Je pense qu'il faudrait tout remettre à plat sans chercher à bilanter le passé. De plus en plus connectée et de mieux en mieux dans ma tête qui regarde tout autour avec incrédulité. La télé nous dit que c'est le mal de l'époque, il est exacerbé par la pandémie, sa gestion au jour le jour... Les sociologues s'y mettent, les philosophes révisent leurs concepts, les psychologues font des plans de carrière numériques, les médecins font les pompiers, les petites mains des hôpitaux et les "accompagnant.e.s" héroïsé.e.s par intermittences, les agents de livraison, les commerçants hiérarchisés en strates d'essentialité, les gens ordinaires, les enfants, les jeunes, les moins jeunes, les anciens, s'adaptent au fatras des annonces fatalistes ou providentielles... Des bavardages à n'en plus finir, et un besoin criant de silence ou d'oubli. Je ne sais pas trop comment orienter mes pensées sans boussole fiable. Alors je décide, et c'est une chance, d'attendre et de pratiquer l'écriture et la lecture en privilégiant ce qui me fait encore vibrer et me donne l'envie de donner ce que je peux de compassion et de bienveillance. Je veux décolérer sans dédouaner qui que ce soit des erreurs commises . Les constats sont pénibles à empiler dans la mémoire, trop de casse, trop de mépris, mais il faut faire ce dernier effort de détachement pour déblayer tant soit peu la conscience et rester calme... le plus calme possible. Aimer aussi, pas d'autres objectifs à court terme. Régler mes micros et mes casques d'écoute, appuyer et cliquer sur les bons boutons pour rester en phase avec quelques un.e.s. Digérer mentalement l'absurdité suintante de la situation générale. Ecouter l'enfant grandir et commenter  la chute de sa première dent de lait.


ETAT DES YEUX | HIVER | Samedi 16 Janvier 2021 | Ne pas tomber dans la confidence mais raconter quand même...

 

CHATEAU DE FLECHERES NAISSANCE DE MA MERE

     A partir d'une photo précieuse, car unique , constituer une trame de support pour trier les souvenirs et les choses à exprimer. Il ne s'agit pas de soulagement, ni même de nostalgie. Plutôt de curiosité sur le procédé à fin d' explorer les capacités de mise en forme, sans doute de mise en récit, pour quelque chose qui a compté et qui compte encore. Mais je dois prendre garde à ne pas tomber dans la confidence...Pourquoi cette précaution ? Bien des gens qui se mettent à écrire, même tardivement, sont confrontés à cette question de la confidentialité, souvent confondue avec la discrétion et le respect de la vie privée des autres. Primum non nocere comme en médecine... Mais existe-t-il une méthode de soin qui ne soit ni invasive, ni asymétrique ? En littérature ( puisque c'est le but lointain visé...),il s'agit de "traiter" des "éléments" biographiques, de les manipuler à distance avec le risque de distorsion et d'interprétation erronée des données verbales et des traces matérielles. Il y a aussi un désir très fort d'anonymisation de l'histoire personnelle. Après la mort des parents et de la parentèle de même génération, on se retrouve en première ligne pour contruire une légende de vies plurielles sur plusieurs paliers de descendance et d'ascendance. Il n'y a que cela qui m'intéresse car c'est ce que je peux le mieux connaître malgré d'énormes lacunes qui distillent les questions sans réponse. Pour autant, c'est de soi dont on a envie de parler en priorité, de cette construction intérieure faite à partir de l'environnement changeant et du mouvement des mémoires imbriquées. Le récit biographique est un puzzle qui me fait penser aux fresques à demi effacées que les archéologues et les artistes peintres font renaître à partir d'éclats, de "restes"... Peut-on devenir l'archéologue de sa propre vie mentale et mnésique ? Pourquoi pas ? Mais ne pas s'y enfermer comme dans une nécropole... "Donnons nous du vivant " écrivait l'Ami Charles dans "La lumière des saisons". Je n'explique pas ici cette photo.Elle condense tellement de pensées et d'émotions que sa beauté visuelle me saute encore au visage. "Instants de vie" dirait Virginia WOOLF qui  peuvent être évoqués seulement dans un "vrai livre" à "faire éditer" dans une forme lisible et attachante pour une poignée de lectrices et de lecteurs en proximité ou en perspective. Chantier ouvert... où les larmes ne sont pas exclues. Ecrire en pleurant, cela m'est déjà arrivé, et comment avouer qu'il s'agir d'une expérience humaine rare et délicieuse. Sensation de décongestionner une peau gonflée de miasmes et de luttes à huit clos entre réminiscences...  


ETATS DES YEUX | Hiver 12 Janvier 2021 |Les cendres d'escampette ou la lettre à Marta

 

MARTA LA POUPEE

 

 

Pour mon fils d'Aveyron Greg et pour Marta fictive et vraie à la fois...

( Je ressors un vieux texte inachevé que je modifie un peu)

*

Ma chère Marta,

On apprend ici la "drôle" de nouvelle... Ainsi tu ne nous attendais que pour nous dire Adieu et bien sûr on ne s'y attendait pas... C'était tellement saugrenu qu'on a cru à l'une de tes blagues. Mais il a bien fallu se rendre à l'évidence, tu avais pris la cendre d'escampette et nous on est restés à bader devant l'horizon vide sans imaginer une seconde qu'on était dans la réalité réelle. C'est incroyable de voir comment les gens apparaissent et disparaissent vite dans nos vies... On dirait des mirages en accéléré ! Heureusement qu'on a quelques images et quelques lettres un peu précieuses à se mettre sous la rétine , sinon, on porterait plainte  immédiatement au bureau des pleurs et récriminations. Déjà qu'ils sont saturés et qu'ils ont des horaires  de grincheux [on aimerait ne pas avoir à faire avec eux... c'est carrément la honte comme ils nous traitent en file indienne et il faut pas moufter ou ils appellent des vigiles du maintien du silence qui chaussent au moins du 59 ! ] il faut  donc se débrouiller  entre nous trois et trouver une combine pour ne pas t'en vouloir à toi. Dis, on peut utiliser ton cirage maintenant? Et ta raquette , tu la laisses à qui ? T'es pas très maline d'avoir rien écrit... Nous on va se chamailler, et Picasso va encore nous croquer un portrait d'enfants mal embouchés... La réputation ça n'a pas trop d'importance, mais si on veut faire rentrer des finances on est obligés de faire attention à ce qu'on dit. Picasso s'en fout parce qu'il se moque de tout le monde et aussi de lui, même quand une eau de gouttière lui dégringole sur la crinière. Mais il a raison de rire parce qu'autrement... ça plombe le moral de te perdre sans rémission. Là où tu es , tu pourrais penser à la poupée que tu as laissée sur notre balcon... On dirait qu'elle dort mais la voisine a chuchoté que c'était beaucoup grave... Elle est peut-être profondément amoureuse et elle s'est désertée, d'où ce teint de porcelaine pas très net net et ce Ouh ! la la... qu'elle nous fait avec son bras... On l'a retrouvée il y a quelques heures dans une rue du centre-ville, elle avait fugué et on se demande comment elle a fait pour arriver si vite dans cette lettre... Mais il ne faut poser que des réponses maintenant , parce que les questions s'emboîtent dans d'autres questions et ça fait des pyramides de questions... Et les pyramides de questions c'est plus encombrant que les pyramides de chocolats ferrero qui fondent très vite dans nos bouches... Si tu en veux pour Noël on ira à Tombouctou t'en chercher... Mais si tu ne manges plus de chocolat,  ça fait rien... On ira chercher des petits coeurs en pâte d'amande et du rapé de noix de coco pour les envelopper... On fera ça bien, tu verras !... On mangera pour toi...On t'aime bien même si tu es une abominaffreuse lâcheuse... On t'embrasse dans le vent...

Alizarine

 

 


ETAT DES YEUX | Hiver |11 Janvier 2021 | Apprendre à séparer l'espace et le temps...

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La discontinuité de l'écriture dans le journal témoigne à la fois d'une difficulté à dégager dans ma journée,ce précieux temps de mise en contact avec le clavier ( à la main se serait peut-être pire...) mais aussi de dissocier les espaces personnels et partagés. Pour ces derniers, passer de l'un à l'autre pourrait être plus commode si je m'astreignais et imposais à moi-même un rituel sacralisé avec un horaire, une concentration presque douloureuse comme celle des grands sportifs, une habitude non négociable avec l'entourage, un égoïsme fait de retrait et d'indifférence par rapport à tout ce qui gravite autour de moi, mais ce n'est même pas nécessaire à l'étape d'écriture où je me trouve. Je n'arriverai jamais à me discipliner à ce degré de formatage. Les mots me viennent de partout, surtout au réveil et bien davantage dès que j'ouvre un livre, écoute quelqu'un, répond à quelqu'un d'autre, ouvre l'ordinateur, lis des courriers ou des notes. Tout s'accélère sans que je m'en aperçoive vraiment. Je suis pourtant au calme, protégée, tranquille au sens physique de l'état.Ouvrir et fermer des portes, allumer et éteindre la lampe, changer de pièce, sortir dehors ( le moins possible et cela ne me manque pas pour l'instant), tous mes actes ne sont pas réglés comme du papier à musique, mais ils sont prévisibles et familiers. Cela m'amuse d'y penser, je pense aux vieilles personnes , et j'en deviens une jour après jour. Le corps s'encrasse en dedans, ses desseins ne sont pas visibles. Je ne sais pas s'il faut l'accepter sans râler ou verser dans la plainte. Je ne me sens pas le droit d'en vouloir à qui que ce soit , je ne suis pas immortelle, je le sais mais qu'écrire de bien avant la fin ? En aurai-je le temps ? Je retombe toujours sur ces mêmes pattes !


ETAT DES YEUX | Hiver | 7 Janvier 2021 | Quand on est raccord ou pas raccord...

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Doucement les robots ! Celui de l'enfant hier était un peu niais, s'imaginant qu'il pouvait mener à la baguette un môme de six ans pour le mettre aux ordres. Movi le robot Fischer Price a vite compris qui était son maître. Malgré son sourire d'émoticône, sa marge de décision a très vite été réduite à peanuts. Les dés étaient bipés. Cela me fait rire rien qu' en y repensant. Ce jouet était rangé dans un coin depuis plusieurs années et malgré son look aguichant, il n'avait pas eu le succès escompté. Je crois qu'il faisait un peu peur et sa voix était trop bizarre. On invente des robots pour remplacer les humains  et on les dote de capacités d'action qui étaient inimaginables pendant ma propre enfance.Si on m'avait dit à six ans que le fameux "Sésame ouvre-toi !  " n'avait même pas besoin d'être prononcé pour qu'une porte s'ouvre, je ne l'aurais pas cru. L'irruption d'objets téléguidés par des composants électroniques qui n'ont pas cessé d'envahir nos vies, on n'oserait guère la contester aujourd'hui, et surtout prétendre qu'on peut s'en passer dans la vie domestique. Sauf à se sevrer volontairement de tout ce qui rend moins pénible les tâches ingrates et répétitives, la communication facilitée, la mémorisation infinie d'événements de vie par la vidéo, la production de musique à volonté. Acheter un 45 tours, ou pire un électrophone relevait autrefois d'un luxe inoui.

J'aime rebrancher  le vieux magnétophone Philips à cassettes de notre père . Tous les appareils qu'il utilisait étaient sacrés, chasse gardée, on n'avait pas le droit d'y toucher. Il était mélomane et nous a fait écouter beaucoup de musique. Il nous a encouragé dans la pratique instrumentale. Lui-même était en nostalgie de sa mère qui jouait du piano. Il n'en avait pourtant pas de souvenir. Elle était  pour lui comme pour nous , un fantôme...  Il ne faut pas que je parle d'elle ici. Ce n'est pas le lieu. Mais je ne me censure pas. Je laisse les sujets arriver pour amorcer la pompe de l'écriture. J'ai la sensation physique d'aller puiser au fond d'une citerne.  Je vais faire une pirouette pour ne pas m'engager plus avant . Citer la quatrième de couverture du livre de Martin LAQUET pour faire transition avec autre chose: 

                               

                                je m'en souviens 

                                comme si c'était demain

                                

                                je lis par-dessus ton épaule

                                le vent tourne les pages

                                de nos corps

                               

                                et quand  tes yeux jonglent

                                avec les astres

                                je donne ma langue au chat

 

Je n'ai pas de chat mais je tourne volontiers les pages, mon corps  s'endort tout doucement. Je guette le signal de basse de vigilance.  En attendant je lis...

Qui couvres-tu en écrivant , écrit Michaël GLÜCK dans  La mémoire écorchée, Qui  couvres-tu en ne le faisant pas , ajoute-t-il, il compare les deux phrases à Une lame de rasoir dont les tranchants se tournent le dos. Cette formulation me semble juste et complète et je réfléchis à cette notion de "couvrir", couvrir c'est protéger, épargner, mais on n'est pas certains de savoir qui est visé. Dans un poème, on n'est pas obligés de répondre à la question.  J'aime la compagnie des gens qui écrivent, qui ont cette pratique intensive de l'écriture et dont l'expérience est déjà ancienne même s'ils ne sont pas devenus célèbres. Je m'identifie à leurs cheminements , à la façon dont ils justifient ce mouvement vers la page à écrire. J'aime en entendre parler, cela ne me lasse pas. J'aime aussi le résultat abouti qui devient un objet en partage plus ou moins attirant dans son écrin de hasard. Je sais qu'il y a trop de livres en tout cas trop de livres à lire, c'est pourquoi je fais confiance à mon intuition pour les choisir, et je me laisse parfois influencer. Cependant , lorsque je pénètre dans une librairie, je me dirige toujours vers les auteurs dont j'ai envie de suivre le travail. Mais comme Charles JULIET à une époque, je me laisse facilement happer par un titre, une belle fabrication à l'ancienne, des couleurs , la sobriété et l'originalité d'un grammage et de la typographie . J'aime qu'un livre soit beau, qu'il prenne une certaine place dans mes mains  avec un poids et un format qui me convient. J'aime glisser un livre dans une poche, un sac , pour qu'il m'accompagne. Cela rejoint la question des gros livres... Je crois que je ne les préfère pas. J'ai d'emblée l'impression qu'on cherche à me voler mon temps... C'est la raison pour laquelle je lis peu de romans. Je préfère les récits et les formes littéraires mixtes, c'est pourquoi qu'un écrivain comme Pascal QUIGNARD me convient. Il faudrait que je développe... 

 

Aujourd'hui j'ai installé le vieux bureau des enfants dans l'ancienne chambre du fils, et la belle lampe avec l'abat-jour bleu reçu à Noël, elle éclaire bien. Je serai devant la fenêtre.  Je verrai la grosse maison blanche qui sert de micro-crèche.En hiver, on entend rien, en été ce sont des cris de bébés et de jeunes enfants qui montent jusqu'à nous sans qu'on les aperçoive, et les chansons des puéricultrices. Je ne crois pas que cela me dérange si j' écris ici. Je pense à Marguerite Duras qui aimait observer les enfants de la colonie sur la plage.  Les enfants sont pour moi une source d'écriture. 

 

                                                           

 


ETAT DES YEUX | Hiver | 6 Janvier 2021 | Comment lit-on les gros livres ?

 

Rois & reines

 

 

Mercredi 6 Janvier 2021

 

Les Rois et les Reines font galette commune dans un Royaume pour de faux. 

Une réflexion de l'enfant, au début d'après-midi, m'est restée comme question de tête, jusqu'au soir... Me désignant  le gros volume de correspondance entre Albert CAMUS et Maria CASARES  coincé entre deux piles  de bouquins . -Je me demande comment on fait pour lire un si gros livre ? Ma réponse n'a pas été spontanée, l'étonnement du petit était trop grand et trop sincère pour bacler l'affaire. Pourtant... toujours l'humour remporte dans ces moments là : - le gros livre... Eh ben... On le pose sur la table, on s'assoit devant et on prend le temps qu'il faut ! L'enfant perplexe : - Ah ? Bien sûr !... On change de sujet, on retourne jouer et je ressasse après son départ que ma réplique est insuffisante et peut-être même un peu trop vantarde. Qui lit vraiment les gros livres et de cette manière aussi simple, s'y mettre tout bonnement  ? Comment lui avouer que ce livre-là m'est tombé des mains.  Non en raison de son poids, mais en raison de la déception qu'il m'a causé. Je peux l'écrire ici, CAMUS m'a déçue... Maria CASARES m'a émue... J'ai éprouvé le même désagrément en lisant les Les "lettres à Olga", écrites en prison entre 1979 et 1983 de Vaclav Havel à sa femme. Gênée de bout en bout par le ton du mari à sa femme, par ses exigences, ses rerproches... sa relation d'emprise...

Tout cela pour dire que je serai toujours du côté des femmes opprimées, à l'écoute de leurs frustrations ataviques en raison d'énormes décalages culturels entre leurs désirs et leurs réalités d'amantes, d'épouses, de compagnes. A la manière des fouilles archéologiques , et sans doute en raison des mouvements féministes, on ne cesse de rédécouvrir que derrière les grands hommes célèbres, il y a des femmes, des servantes, des petites mains, des muses utilitaires...  Et être reconnues comme femme de... est devenu à la mode. Le problème désormais est que le balancier risque de remettre dans l'ombre , bien des oeuvres et des mérites, et ce n'est pas vraiment la bonne voie à suivre. J'aimerais qu'on remette aujourd'hui les compteurs à zéro, est-ce possible ? Reconnaître que tout(e) seul(e) devant une oeuvre à réaliser, on n'est pas grand chose... C'est la raison pour laquelle je considérerai désormais avec beaucoup de curiosité et d'attention, toute publication qui permet de donner un point de vue de proximité de la part de proches selon leur voeu, en langage partageable, dans le respect total de l'intimité et sans esprit de rétorsion ou de dévaluation vacharde. Le commentaire d'une oeuvre par un éclairage contextuel de proximité n'est pas inintéressante pour mieux la comprendre et l'accueillir.  Dans l'après-coup au moins, (post mortem ?) cela permet de mieux saisir les nuances et les partis pris d'une énonciation. Il, elle écrit cela, à un moment donné et cela a un sens particulier, avons-nous les bonnes clés, autres qu'intellectuelles, pour lire les subtilités, l'arrière-panorama de toute phrase ? Ce qui m'intéresse finalement dans les livres, c'est l'intention et l'aboutissement , entre les deux, toutes mes questions font ventre...  Oui, j'aime bien savoir ce qu'on me fait avaler ... ma crédulité en dépend...  


ETAT DES YEUX | Hiver | 5 Janvier 2021 | Les résurgences du parloir miroir

 

Les pas dans la neigePas dans la neige au Clos Fleuri - photo modifiée Mth Peyrin

 

 

Ce pourrait être une lettre adressée à un.e  ami.e, pour donner des nouvelles…

Cher.e Toi ,

J’espère que tu vas bien et que ma lettre te fera passer un bon moment à mes côtés. On les écrit sur écran désormais, mais l'envoi postal fait encore partie de mes préférences. 

La semi-réclusion devenue volontaire a du bon. J’écris. Dans ce massif d’immeubles urbains d’origine ouvrière, mon compas visuel limite mon regard à un grand demi-cercle côté ouest depuis le balcon du 3°, deux petits côtés sud et nord, et un petit rectangle de verdure en aplomb des chambres, la nôtre, et celle du grand fils devenue mon antre à livres, une sorte de grenier perpétuel où je rêve de poser mes plages d’écriture et de lecture. C’est l’un des lieux d’écriture qu’il me faut garder. L’installation est en cours mais il me faut auparavant délocaliser des archives familiales précieuses devenues encombrantes. Je ne les veux pas encore loin de moi.

La résidence de co-propriétaires porte bien son nom : « Le Clos Fleuri ». Elle fait partie des anciennes propriétés arborées glanées par la pieuvre immobilière, sur le territoire des roseraies du 8° à la limite de Vénissieux. Le périphérique sud tout proche est devenu un fleuve bruyant qui a repris son flux de voitures incessant après les trop courtes interruptions de confinement. Show must go on… dans la fuite en avant… Toutes les questions de reprise économique sous l’injonction d’un capitalisme qui n’a rien compris de la leçon pandémique nous assaillent de toute part. La pauvreté devient criante à chaque coin de rue, les visages dehors s’évitent et chaque personne se déplace seule ou accompagnée de petits et bien moins d’anciens, comme si une menace pesait sans interruption dans l’air déjà pollué de la cité. Le grand air et l’espace sont loin, mais ils sont accessibles dans les horaires de couvre-feu. Il est bizarre de revivre ce dont nos parents et grands-parents nous ont parlé à longueur d’enfance. Deux ou trois guerres et l’ambiance de pénurie, de délation et d’arbitraire qu’ils ont surmonté en laissant derrière eux des morts tragiques… Aujourd’hui, je pense aux morts récents de la pandémie, parfaitement invisibles humainement, sauf pour les soignants, les familles et les fossoyeurs dans le brouhaha télévisuel que les statistiques lancinantes des médias peinent à incarner. Les enjeux contradictoires de générations semblent prendre une tournure d’affrontement attisée par les réflexes égoïstes de temps revenus sans foi ni loi. Le système D est prévalant et le raisonnement à courte vue avec ses cortèges de stigmatisations et de défis. Phénomènes éthologiques plus que politiques. Des masses humaines stigmatisées sont empêchées de circulation, reléguées, menacées çà et là… Ici, et pour l’instant, nous sommes à l’abri des plus gros désordres sociaux. Nous sommes des privilégiés sans être des nantis de haute volée. Nous payons nos impôts, nous aidons nos enfants impactés par leurs conditions de ressources aléatoires et restrictives. Nous prenons soin de notre seul petit-fils comme s’il était l'unique petit Prince malicieux et inquiet pour sa rose, car conscient de tout, sur une planète qui manque de jugeotte. L’enfance à portée de regard est la seule consolation de ce XXI ème siècle devenu confus et dangereux.

Dans mon miroir, le matin, je vois une sexagénaire sans maquillage, un peu usée, qui n’a pas envie de se plaindre mais qui ne cesse pas de se poser des questions. En lisant les autres, elle prend ses repères et elle affine sa vision de l’usage des mots. Beaucoup sont inutiles, mais chaque parole demande à être lestée d’humanité meilleure. Cela s’apprend tout au long d’une vie et on rate beaucoup dans ce domaine.

Lorsque je pense à toi, je me rends compte que je ne sais rien de ce que tu vis en ces moments un peu trop déroutants. Personne n’a vraiment envie de s’épancher sur son sort de peur des comparaisons et de la banalité des phrases qui pourraient en découler. Comment parler de cœur à cœur, d’esprit à esprit quand le corps à protéger prend toute la place et le champ d’intérêts. Te savoir pruden.t.e face à la diffusion du virus me rassure, mais dans la réalité , je sais que l’on prend toutes et tous des risques à chaque fois qu’on sort de nos tannières. Il y a toujours des sacrifié.e .s en première ligne, des mal payé .e.s qu’on  envoie comme des soldats, et qu’on appelle héros lorsque ça arrange nos principes éthiques vite balayés. Le cynisme fonctionnel des gouvernants appelé pragmatisme, et du fonctionnariat aux ordres, appelé citoyenneté ne laissent pas de surprendre en ces temps bouleversés.  J’aime bien ce mot « tannière », qui me fait penser aux grottes préhistoriques où nos ancêtres s’éclairaient à la torche de graisse enflammée et se réchauffaient au feu de camp, habillés de peaux de bêtes, ingénieux pour la survie. Autour des animaux féroces tout aussi traqués qu’eux et sans doute des durées de vie plus brèves que les nôtres…

Je pense que j’aurais fait partie des premières victimes si j’avais vécu à ces époques, dans une guerre aussi… Et c’est étrange de penser cela.  Cela me peine pour les gens qu’on laisse, mais je le sens intimement dans mon corps. Je ne suis pas pourtant quelqu’un qui ne se défend pas ou suicidaire, mais le plaisir de l’attaque me paraît superflu, la mort vient facilement, il ne faut pas la prier très longtemps. En attendant, je profite lentement du sursis. La vie est généreuse lorsqu’on est encore du bon côté. Comment aider les autres ?

C’est bizarre de dériver ainsi dans l’écriture. C’est comme si je parlais à moi-même en t’écrivant, et c’est sans doute le cas. Est-ce vraiment utile ?

Toi, seul.e pourrait me le dire si tu le peux franchement.  Que tu ne me répondes pas est aussi possible, je ne t’en voudrais pas.  Je pense encore  à la fabuleuse écriture de Bernard Noël. Je viens de retrouver un livre d’artiste illustré par Jean-Gilles Badaire avec des mots qui disent exactement ce que je ressens, à condition de m’éloigner de la réalité. Ce sont des poèmes qui s’adressent à trois prénoms (ces personnes existent donc !) Le titre est déjà une offrande : Présent de papier, c’est édité chez le grand Jacques Brémond , «  Achevé d’imprimer entre froids de l’hiver et bruissements de l’été sur les presses typographiques de l’atelier de Montfrin de 2009 à 2010 » . Pour finir ma lettre , je te recopie celui qu’il dédie à mohammed.

 

bienvenue au silence

où s’avive le souffle qui vient

habiter la demeure mentale

amitié pensive puis la mémoire

mâche un peu de temps puis fait

mouvement de langue et c’est

encore une fois vers le poème

dis-moi quelle figure y prend l’air

 

bruit de syllabes ou présence

en train de changer d’alphabet

nous aimons le pays du Livre

notre vie glissée entre les pages

il y a tout l’inconnu qui cherche

sous le cœur comment se prendre aux lettres

 

ou prémonition active à travers l’attente

une vision travaille en tête

matière d’unité qui

active en nous l’urgence d’être

mais qu’est-ce que la vie ordinaire quand on songe

aux différences dont la parsèment les vocabulaires

 

jouer de l’étranger pour changer la vue

oublier l’enceinte de poussière

une main passe derrière les yeux

raclant la patine des habitudes

nous voici tout à coup ensemble

au désert et l’émotion dresse là-bas

l’horizon d’une langue unique

 

de quelle substance avons-nous le partage

en cet instant où se ferme la bouche

 

le rythme du regard fait danser

autour de nous l’invisible

 

matière qui se matérialise

et ce n’est pas du chant mais

toute une nudité interne soudain

advenue à la pensée que le Néant

primordial nous invite à donner un

habit sublime au dérisoire

on va dans le désert pour voir

reculer à chaque pas l’infini

encore une réalité illusoire

 

les décombres de l’âme dis-tu

et quelque chose d’obscur refroidit les yeux

des sanctuaires de sable

ouvrent leurs portes à l’éphémère

nous revoilà devant l’absence

 

dès que le doute dévore la langue

une limite encercle la vue

 

vapeurs menaces chutes désastre

il n’y a plus que la solitude

des mots passent en perdant leurs lettres

et l’illisible nous crible de sa pluie

 

faible rempart l’écriture

l’obstinée résistance du sens

entre disparition et dissidence

un mystère d’inanité sonore

vivifie l’espace où la pensée

était au bord de sa perte

 

et tout repart une fois de plus

notre vitalité elle seule peut-être

tu fais je fais nous faisons

revenir des ombres sur la page

en traçant là des lignes

 

de l’illusion acceptée s’élève

encore l’énergie verbale

sous les signes respire l’autre dimension

 

futur et avenir ne sont pas semblables

un grouillement ici une gravitation par là

nous passons du pensable à son contraire

enracine ton visage existe et mords

répète en nous la bouche obscure

aime ajoute une autre

il n’y a pas de demi mesure dès qu’on saisit

la plume et qu’elle remue tout en bas

l’antique décharge où sont

entassées les images l’écriture

s’en va manger dans ce chaos

 

les mots dis-tu sont des sacs où le temps

empile du  je  du  il  parfois du  nous

leur ouverture fais déborder le tu

il dormait sous les cendres de l’identité

vidé aussitôt du silence tacite le voilà

réduit à jouer le rôle de l’Autre

enveloppé de quelques lambeaux d’être

 

 

dans le corps ça crée de l’espace

et des points d’attache pour l’infinitif

 

les organes savent ce qu’ils doivent à la conjugaison

 

au jour le jour il faut inventer un

maintenant qui défie la distance

oser l’écoute de la sonorité pure car

une forme d’air suffit à faire

résonner le fil de l’amitié

 

 

 

Tu vois, mon Ami.e, je pourrais me contenter de recopier des poèmes comme celui-ci pour parler de ma vie, cela suffirait peut-être. La narration anecdotique n’est qu’une façon de contextualiser le lieu d’ancrage de ma pratique de lectrice.  Les poèmes sont vivants lorsque je les découvre ou redécouvre dans la coquille élégante des livres publiés, je les aime aussi dans la voix réelle des gens qui les offrent, surtout parmi  les contemporains et les passeurs qui la partagent sans chercher à la monnayer comme une denrée de consommation . Certes il faut payer l’impression des livres, mais je n’ai jamais cru que la poésie était une exclusivité et un métier. Elle appartient à tout le monde, à tout moment, en toute langue, elle doit circuler sans taxe, ni douane, elle est le bien commun essentiel en provenance de singularités assumées. Elle est le lien entre les époques et les êtres ouverts et vibrants. Je suis l’amie des enfants, des poètes et des papillons ( et plus récemment , des escargots ! ). Range-toi dans la catégorie qui te ressemble le mieux ( tu peux cocher toutes les cases en même temps !).

Je t’embrasse doucement.

Mth


TEXTES SENTINELLES | Sylvie FABRE, Déconfinement de nos voix ©

Les porteuses d'eau Hervé Vernhes

Peinture d'Hervé VERNHES - Collection particulière

 

Déconfinement de nos voix

                                                                 

À ma fille et aux jeunes femmes poètes d’aujourd’hui     

                 

       Le temps est à la réclusion solitaire et chacun, même s’il la vit à sa manière, se tourne à un moment ou à un autre vers de brûlants compagnons, les mots, pour leur demander leur feu en secours. Ces invisibles visibles permettent en effet de se jouer des clôtures. Ils traversent les écrans, animent la matière des livres et habillent de présences la conversation – proche ou distante. Leur force, même entravée, a un poids ou une légèreté dans nos voix qui intensifie nos silences ou irrigue nos échanges. Mais si nous prenons tous la parole pour remémorer la vie au passé, pour commenter l’incertain présent ou  imaginer le futur, celle-ci nous est néanmoins accordée selon notre sexe et notre place dans la société. A l’heure de cette pandémie, hommes ou femmes nous analysons l’évènement, nous exprimons nos opinions ou, comme à l’époque de Boccace, nous racontons des histoires – et pas seulement grivoises - glanées au fil de nos expériences et selon nos imaginaires. Comme femme et poète, il me semble pourtant que persiste encore l’inégalité dans la puissance et la réception de nos voix.

       Après un énième échange de groupe sur Skype où la voix des hommes dominait, je suis revenue à la constatation de  l’enfance : temps passé, âge mûr et bien mûr, n’ont rien changé. Ainsi j’ai vécu et je vis encore une vie où la voix masculine fait autorité.  Cet apanage des mâles persiste à degrés divers dans ma famille et dans la société entière. Il semble qu’il y ait une certaine façon d’être au monde pour une femme, qu’elle soit ignorante ou cultivée, résignée ou en lutte, ménagère et/ou écrivaine. Quand elle agit, elle doit en faire un peu plus, quand elle parle, elle doit en dire un peu moins, il y a toujours « quelque chose de pourri dans le royaume …». Peut-être pour quelques-uns  le mieux serait-il qu’elle se taise, quant aux autres ils ne s’en apercevraient pas. Ainsi malgré l’accès que j’ai pu avoir aux études, malgré des années de professorat et une œuvre de poète, j’ai souvent senti n’avoir pas vraiment droit à la parole et encore moins à l’erreur, j’en ai souffert et j’ai eu peur. Comment en serait-il autrement ? Sans doute, les femmes féministes de ma génération ont encore trop admiré ou haï ceux qui établissaient les codes et distribuaient la parole : il y a une hiérarchie dans la vie, me répétait mon père qui, pour l’imposer, s’y connaissait.  Combien de repas de famille ou entre amis ai-je passé, à écouter les hommes discuter des choses importantes, travail argent et politique, ou bien littérature, art et philosophie, pendant que les femmes servaient à table et acquiesçaient aux opinions de celui qui ne pensait jamais à  leur demander les leurs. D’ailleurs dans ma jeunesse on leur conseillait assez vite d’aller à côté avec les enfants pour « papoter », plusieurs étant excédés d’être interrompus  «  pour rien » dans leur conversation. La plupart se pliait à l’injonction et il n’y avait guère qu’une cousine plus cultivée pour protester. On raillait en cœur l’intellectuelle et on plaignait son mari qui devait aider au ménage. En faculté, même après mai 68, les étudiants « tenaient le crachoir » militant, et pendant les cours les professeurs les laissaient parler. Les filles, mots confinés,  faisaient les petites mains pour le café ou les banderoles et tremblaient dans les amphis lors des exposés. On leur décernait quelques remarques ironiques ou étonnées sur leur prestation puis, en passant, on les félicitait aussi de leur beau sourire. Comme moi, mes amies ont craint de ne pas réussir. La menace de devoir « arrêter » a hanté mes années de lycée. Après avoir réussi les IPES et signé le contrat de dix ans, j’étais triste d’une liberté déjà entamée mais soulagée : le pire, vécu par ma mère, était évité. 

     Plus tard j’ai connu les soirées d’intellectuels où les hommes exposaient leurs idées, parlaient de leurs œuvres, débattaient de littérature, sans que les jeunes femmes présentes ne puissent intervenir. Au mieux leur temps de parole était compté. Nous étions, comme nos mères, vouées à l’écoute et dévouées aux amants, amis ou frères. Et même si nous étudions lisions et pensions aussi bien qu’eux, ils étaient sans crainte. Comment aurions-nous pu avoir leur confiance et prendre leur place ? Libérer ma voix en ouvrant la voie de l’écriture ne fut pas une mince affaire.  Ma poésie, je me souviens, on l’a notée comme mes copies et certains ne l’ont jamais reconnue.  Les grands écrivains étaient à une majorité écrasante des hommes et les jeunes hommes en apprentissage étaient avec eux nos « maîtres ». Comme Emily Dickinson, un siècle après, j’avais tendance à le croire. Mais je me souviens de nos rires moqueurs qui  sous-tendaient la révolte quand avec une amie nous avions découvert avoir été conviées à la rencontre  du « grand écrivain » venu de Lyon pour « faire les potiches » et servir le thé. Tout l’après-midi il ne s’est adressé qu’à nos compagnons. Aucun d’eux n’en fut choqué et nous avions amèrement regretté de ne pas avoir imposé notre présence. J’avais 25 ans, les revues étaient la chasse gardée des hommes et je dus attendre de découvrir Sorcières pour avoir la chance d’être publiée. Celle-ci, créée par Xavière Gautier, voulait faire entendre la parole confinée, la création étouffée des femmes. Pour elles publier de la poésie dans les années soixante-dix était une gageure, elle l’est demeurée longtemps. Les catalogues des éditeurs en témoignent par la nomination. Encore maintenant, et malgré tant d’écrivaines qui ont fait leurs preuves, les grandes anthologies poétiques et les collections prestigieuses comportent un nombre dérisoire de femmes. Et je me rappelle cet  éditeur courtisé, s’exclamant au Marché de la poésie devant un parterre de poètes dont j’étais, qu’il n’existait pas de « vraies poétesses » en France. Aucun poète présent ne l’a contredit. Seules deux ou trois femmes ont protesté en  murmurant quelques « noms » incontestables. Le sentiment d’infériorité, la muflerie sont intériorisés depuis si longtemps, notre aliénation aussi. Des lectrices ne m’ont-elles pas félicitée un jour pour mon écriture métaphysique et à portée universelle, «  rare chez les femmes dont la poésie est d’habitude si mièvre et si étroite ! ». D’ailleurs, j’en ai eu une illustration quand j’ai récemment osé publier mon deuxième recueil sur l’enfance. Même des initiés se sont étonnés : « Mais quelle idée de parler de grands-mères et de bébés dans vos poèmes, tu vas faire fuir tes lecteurs !».

    Si je tremble toujours un peu avant les lectures publiques, si je me tais encore beaucoup dans les soirées, si j’ai gardé tendance à ne pas me sentir « à la hauteur », j’ai conquis de haute lutte, grâce à mes livres et à ceux des autres, la liberté de ma parole : dans mes mots courent les mots de tant de femmes qui se sont tues. Dans le sang et le miel de ma poésie coulent les voix empêchées de ma mère, de mes grands-mères, et celles de la sororité, vécue ou rêvée, dont on parlait à Sorcières. Je n’ai désormais plus rien à craindre, la poésie m’accompagnera, aussi longtemps que la vieillesse qui arrive le permettra. J’ai écrit pour aller vers une lumière, réparer les blessures de l’enfance et de la jeunesse en tentant de briser quelques chaînes avec les mots. Déconfiner nos voix de femmes est un vœu perpétuel.

Sylvie FABRE

 

 

Vous pouvez retrouver des textes et des indications bibliographiques sur l'oeuvre de Sylvie Fabre

dans les pages numériques de Terres de Femmes 

 


ETAT DES YEUX | Hiver | 4 Janvier 2021 | Laisse écrire… Laisse d’écrire…

 

lundi 4 janvier 2021

MUSEE PICASSO ANTIBES

 

Tout commence à se jouer dans le rituel d’écriture journalière. Ici, se concentre une recherche de ligne de fond, une trace de faille tectonique entre plusieurs espaces : l’intime, le privé et le public. La sincérité est réelle, la vérité reste subjective et sans doute changeante. On ne pas tout dire et écrire, contrairement à ce que l’on peut imaginer en lisant les autres. C’est une question à la fois morale et technique. Le respect de la vie des autres et l’impossibilité de maîtriser totalement toutes les potentialités d’une langue maternelle sont les balises les plus voyantes. Le passage obligé sera la relecture et la censure. Je n’ai pas envie d’émietter le sens, bien au contraire, je cherche une condensation de mes pensées vives au contact de textes qui me percutent et me font bouger dans la langue écrite. Je parle tout haut ce que j’écris pour voir si ça tient facilement dans la voix, dans le souffle. J’essaie de réduire la longueur de mes phrases. Cela me coûte car j’aime cette glissade dans ce qui s’installe sur ma page, cette contagion sonore des mots qui dérapent vite en langage poétique. J’aime les mots qui ne restent pas à leur place, qui se rebellent, qui se déguisent pour déjouer la monotonie et la morosité des propos. Je me sens comme un jeune chien femelle encore un peu crédule, qui attend qu’on lui rallonge sa laisse pour bondir dans les flaques, le dehors est si tentant, mais il faut monter la garde devant la maison des mots , qui est aussi par expérience la maison des morts.  Quelque chose qui ressemble à un passage du Styx un peu trop récurrent. Mais je dois aimer cela finalement, cette proximité avec les revers de la vie, leurs lisières de fourberies et d’effondrements. J’aime rire toutefois, et l’enfance autour y pourvoit. Comme elle est intermittente ici, j’ai le temps d’arranger un peu les sépultures de mes émotions majeures. Écrire est une façon de poser des fleurs sur le sentiment d’exister, ce n’est pas une occupation anodine. Aujourd’hui, j’ai envie de relire Bernard Noël, qui s’éloigne de plus en plus de nous, mais en douceur, car il est bien entouré… mais ne peut plus lire… trop fatigué… Je le lis dans son Lieu des Signes, pages 56 et 57, Editions Unes, 1988 :

 

                            NOTE  II

Pouvoir passer

pouvoir dire à demain ou plus tard,

pouvoir dire hier ou autrefois,

c’était l’ombre des organes.

Maintenant, toutes les  faces du volume sont  visibles

à la fois.

Maintenant,

me voici en un monde où les paupières

ne servent qu’à dormir

 

|||

 

                   NOTE III

Milieu du milieu du milieu

à perte d’œil,

mais l’œil ne perd jamais :

un autre œil le relaie,

le regarde,

l’oblige à s’auto-regarder

et multiplie son pouvoir.

Œil dans l’œil

oeil corps d’yeux,

œil os du temps.

 

Bernard Noël est un auteur que je lis fidèlement, il est aussi important que Charles Juliet pour des raisons différentes et complémentaires. Leur conception de l’écriture diffère et j’aurais voulu qu’ils puissent parvenir à nous restituer quelque chose de leur rencontre. Cela fait partie des choses incroyablement difficiles à évoquer.


ETAT DES YEUX | Hiver | 3 Janvier 2021 | Ce que dedans concocte...

DEMAIN Demain commence aujourd'hui

Photos Marie-Th Peyrin (c)

Tu regardes autour de toi. Tu es cernée par les piles de livres, les boîtes à rangement de toutes les archives récentes de ta vie. Cela te plaît mais tu n'es pas satisfaite. Ici est trop petit pour accueillir  tes projets de livre. Tu rêves de ta grande maison d'Ardèche, celle où tu as grandi ... Mais tu n'es pas à plaindre, tu la retrouveras après la Pandémie. Tu n'es pas dans le besoin. Tu as du temps et tu es motivée. Tu n'as pas d'excuse sauf les jours où le corps grince et ahane, tu ne peux pas surmonter sans grogner l'enquiquinement des sensations douloureuses et éviter de les combattre à perte par salves de médicaments. Tu rêves d'une vitalité indolore qui te pousse vers ta table de travail, qui est elle aussi encombrée par l'ordinateur. Tu n'écris que sur écran depuis plusieurs années , sauf pour les notes consignées dans une multitude de carnets dépareillés. Ton graphisme y est épouvantable car tu n'as jamais le stylo adéquat pour dessiner de petites lettres appliquées. A chaque fois tu penses à l'école et à l'apprentissage, aux souvenirs de plume, d'ardoise et d'encrier en porcelaine qui te reviennent... intacts... Avec les procédés modernes tu pourrais faire davantage d'efforts , mais tu veux faire vite... Pourquoi ?  Tu fais souvent plusieurs choses à la fois  comme la plupart des femmes, penser aux autres fait partie de ton comportement, mais tu as moins de tâches à faire sauf en présence de l'enfant certains jours. Et tu vis avec un compagnon solidaire et serviable. Tu te souviens pourtant de tes journées de mère  et de mère au travail comme des prouesses quotidiennes et tu mesures la différence... Ta fatigue n'a plus les mêmes effets, tu dors beaucoup moins, tes rêves sont plus tourmentés et tu es contente d'être réveillée pour profiter de la lumière et de l'énergie  rechargée. Tes soucis sont de nature humaine la plupart du temps. Il y a toujours quelqu'un à épauler quelque part, une cause à défendre, une indignation à rajouter à ton fardeau mental. Tu n'as pas trouvé le chemin de l'indifférence, tu ne sais pas faire et tu ne le regrettes même pas, mais tu n'es pas libre de tes émotions, tu manques de recul sur certaines questions, tu le sais , mais ça ne suffit pas à alléger ta charge mentale. Les techniques de méditation t'aident un peu mais elles sont très perfectibles.  La lecture est ton seul vrai débroussailleur de certitudes, tu ne sais jamais à l'avance comment elle va opérer en toi, mais tu sais à chaque fois si elle est efficace ou non. La poésie a des lames de haute précision et tu la manies avec respect. Tu voudrais savoir mieux fabriquer tes propres outils, pour cela encore, il faut regarder dans les livres et éliminer ce qui est trop éloigné de ta sensibilité. Tu n'aimes pas perdre ton temps, mais tu aimes pourtant le donner aux poètes ou à ceux et celles qui parlent  de l'intérieur avec des mots vrais, des mots justes et suffisants pour que tu te sentes rassasiée. L'écriture des autres te nourrit, la tienne tente de le faire mais avec plus de maladresse et de doute. Ecrire c'est aller vers l'inconnu, tu n'es pas la première ni la dernière à le constater, c'est une aventure passionnante. Aujourd'hui tu te sens prête et tu vas te mettre à l'ouvrage sérieusement. Les textes laissés en jachère vont devoir se confronter à ton jugement et tu sais qu'il ne va pas être tendre. Ton orgueil va en prendre un coup et ce n'est qu'une étape. Car si tu n'essaies pas, qui le fera à ta place ? 

 

3.01.2021